Gisèle nous raconte ses 38 ans d’engagement aux Restos
C’est le hasard d’une conversation qui est à l’origine de son bénévolat !
– Tu as entendu Coluche sur EUROPE 1 ?
– Non, il disait quoi ?
– Qu’il voudrait faire une cantine cet hiver, pour les gens qui ne mangent pas à leur faim. Et comme nous avons des excédents européens, il fait appel aux donateurs et aussi aux bénévoles !
– Ah bon !
Un mois après, une première réunion de quartier s’avère correspondre aux grandes lignes de ma vie : ce sera hors politique, hors religieux, dans la simplicité et surtout sans jugement, ni du pourquoi, ni du comment on arrive à cette situation difficile.
Situation géographique oblige, je me retrouve le samedi 21 décembre 1985, à 7 heures du mat’ sur le site du fameux chapiteau bleu et blanc, siège de communication de Coluche.
Comme je l’ai signalé dans le questionnaire rempli en amont, j’ai une vie professionnelle et ne peux donner du temps que le week-end, le soir et une partie de mes congés. Je me retrouve donc à un poste polyvalent « distribution de pain ». Ca me va bien, alors pendant 3 mois, dès que je peux, sous ce chapiteau ouvert au froid, mais très chaud en ambiance et en rires, je distribue du pain (seul poste avec des gants à ce moment-là). Coluche, qui veut que l’on l’appelle Michel hors caméra, vient souvent, tutoie tout le monde, rit, tempête. Il parle à tous les bénévoles qu’il baptise de surnoms cocasses : le docteur (bénévole qui voulait filer de la tisane de thym à tous ceux qui toussaient), le bourgeois (bénévole qui venait en souliers vernis). Moi se sera Choichoi (déformation de mon nom d’époque, car 3 Gisèle en même temps, c’était trop sur le terrain). Justement, là sur le terrain, on retrouve le drolatique et parfois excessif personnage, mais je fais connaissance aussi avec l’homme, humain, protecteur, qui échange avec les plus vulnérables d’égal à égal dans des éclats de rire, des tapes dans le dos, mais sans condescendance.
Pour ma part, ces trois mois (arrêt de la première campagne) passent très vite. Le travail et le pain n’ont pas manqué. Fin mars, réunion pour se dire qu’on remettra ça en décembre et qu’on sera présent. Chacun reprend sa vie…
Hélas, putain d’camion ! Beaucoup de bénévoles n’ont rien lâché, mais Michel lui, est parti faire rire d’autres ailleurs !
En décembre 1986, vu mes horaires possibles, dans une structure plus cadrée, on me demande si je veux bien faire partie des distributions au camion. C’est-à-dire, servir des soupes chaudes aux personnes sans abri qui viennent se rassembler le soir sur la place de la Nation. J’habite à 10 minutes à pied. Banco ! Là on prend son temps, on parle avec les bavards, avec les plus tristes qui viennent chercher de la soupe, mais aussi une chaleur humaine : de tristes et parfois belles histoires de vie, le « pourquoi », le « comment », le « si j’avais su » s’échangent. Parfois on met les pieds dans des flaques profondes de douleurs, on pense que ces personnes vont s’y noyer, et quand soudain on lit dans leurs yeux que le partage avec nous de leurs émotions va les porter encore un peu plus loin, alors on sourit et on tend la main… Nous, les bénévoles, sommes là, sans porter aucun jugement.
Deux hivers passent, les Enfoirés (sûrement un des mots préférés de Coluche), les bénévoles et les artistes reviennent, tout se cale. La cellule dite « gens de la rue » me demande si de temps à autre je voudrais m’intégrer dans le cercle « maraudes ». Car il semble, je dis bien il semble, qu’on me trouve rigolote et apaisante, me rapporte une bénévole. Je ne suis pas sûre d’être capable d’aller vers les personnes. Au camion ce sont elles qui viennent vers nous, là c’est différent, c’est nous qui sillonnons les endroits les plus obscurs, les plus cachés. Car même s’ils sont dans la rue, leur ‘’coin’’ c’est leur chez eux intime. Et là tu arrives avec les meilleures intentions du monde, mais tu entres chez eux, la démarche est différente ! C’est une autre approche que je ne suis pas certaine de savoir faire. L’équipe de bénévoles est formidable et merveilleuse de chaleur, avec un regard humain de grande valeur. Je m’intègre assez vite, avec des situations cocasses dues à ma motivation entière, mais parfois excessive, qui déclenche des fous rires, nécessaires pour décompresser. Là, pendant 4 années, les « brigades » maraudes donnent et reçoivent tant que je suis sûre que cet engagement correspond à ce que je me suis dit dans mon enfance : quand je serais grande, j’aiderai les autres…
En 1995 arrive sur les quais de la Seine la Péniche du Cœur (logement de nuit pour 19 hommes), et l’on recherche des bénévoles matinaux pour la préparation des petits déj’ sur la péniche. J’y vais, je me sens mieux le matin avant d’aller au bureau, que le soir où je commence à fatiguer. C’est la première et pour moi, la dernière année, puisque je vais quitter la région parisienne (les enfants se sont envolés) pour un choix de vie en Vendée.
En 1996 la Vendée m’accueille, j’épouse l’élu de mon cœur… et commence à lorgner l’Association des Restos du Cœur, soit dans le 79 soit dans le 85, les deux étant à 20 kms de mon cher marais. On me dit que cela serait mieux que ce soit dans le département où j’habite. Fontenay le Comte me tend les bras, mais je n’ai jamais fait de distribution. La responsable de l’époque, Yvonne, me confie les balbutiements de l’informatique sur le centre, mais déjà je regrette le partage, le sens de l’équipe, les rencontres avec les bénéficiaires (nom de l’époque). J’ai peur d’entrer dans la danse, et les bénévoles de Fontenay ont peur de celle qui arrive de Paris. On me propose une formation « inscripteurs ». Non, non ! Je n’ai aucune appétence et je me connais trop bien, il faut de la rigueur, savoir dire non, vu l’exigence du respect du barème. Moi, je sais pas faire ! Donc je m’intègre doucement à l’équipe de distribution, là il semble que ma bonhommie amuse et réconforte. Allez c’est bien reparti !
2003, la vie me met une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle descend peu à peu et nous comprenons, mon amoureux et moi, que nous ne fêterons jamais nos noces de coquelicot (8 ans). J’arrête le bénévolat, je reste juste engagée pour quelques opérations spécifiques, collecte, etc.
2004, comment aider les autres quand on n’est même pas capable de s’aider soi-même, triste constat pour moi ! Alors, lorsque l’espoir revient dans une vie moins douloureuse et avec la complicité de celles et ceux qui me m’ont pas lâché la main, je redeviens bénévole sur Fontenay. Le nouveau responsable (encore bénévole à ce jour) me « presse » de me présenter au CA. Au centre j’anime aussi quelques ateliers de cuisine (recettes, budget) pour les personnes accueillies et boum ! Le nouveau Président venu sur une animation me demande de faire des ateliers identiques dans les ACI. C’est quoi, les ACI ?
Je crée sur Saint Médard le premier buffet de convivialité au cours de la première porte ouverte « vente de plants », journée jumelée entre le centre et l’ACI. Et tout s’enchaine… Du CA au bureau, et après quelques formations, me voilà tellement enthousiaste qu’on me confie le poste de Responsable ACI en 2011.
En 2014, réforme totale et générale de l’insertion en France. Je ne peux assurer, trop de transversales avec le code de travail que j’ignore totalement, je le dis très sincèrement… Un autre bénévole devient Responsable Insertion et Ressources Humaines, je reste engagée sur la vie quotidienne des 4 chantiers, encore un peu plus engagée sur Saint Médard puisque j’ai tenté (avec succès je crois) de mettre en place des manifestations plus étoffées, pour faire connaître l’insertion (action des Restos du Cœur trop méconnue) par des moments conviviaux, d’échange et de partage, en faisant une liaison humaine entre les centres et les ACI.
J’ai eu aussi la joie, pendant deux ans, avec toutes les remontées joyeuses et tendres des centres et des ACI, d’articuler un petit journal, le MAG85. Il est bien dommage que cela n’ait pas perduré, cela donnait une dimension forte de la cohésion des équipes à l’AD85.
Depuis mars 2021, je suis responsable du chantier d’insertion de Saint Médard. J’anime avec une équipe de salarié(e)s motivée et motivante, encadrants technique et CIP, ce chantier, avec toujours beaucoup de plaisir, car l’insertion est une part importante des actions des Restos du Cœur. En parallèle, je suis référente aide à la personne sur les quatre chantiers de Vendée : les personnes que nous aidons à reprendre un cours plus aisé de leur vie peuvent et doivent bénéficier des mêmes aides que les personnes accueillies dans les centres… Là il faut que j’arrête, car je parlerais de l’insertion pendant des heures, cette facette des Restos me faisant beaucoup « vibrer ».
Le bénévolat n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Il y a de folles joies à partager, d’étranges peines à surmonter, des moments difficiles, durs, imbuvables… comme les 2 bouteilles de vin de 1985, que Coluche et moi devions, selon notre engagement, ouvrir le jour de « notre dissolution » comme dit dans la chanson de Goldman « Ici les Enfoirés » (« … Et si tu trouves un jour la solution, on fêtera tous notre dissolution… »). Les bouteilles sont toujours dans ma cave !
Pour ma part, je reste à ce jour engagée, comme le colibri de la légende amérindienne. Je sais que cette belle aventure au cœur de l’association des Restos du Cœur, qui ne devait durer que quelques années, m’avait dit Michel, est toujours hélas d’actualité. Mais en ce qui me concerne, elle s’arrêtera à l’aube de mes 80 ans… Donc encore quelques petites années à me supporter avec ma foi du charbonnier, ma sincérité, mes excès. J’aurai quant à moi fait ce que je m’étais dit, enfant : AIDER, à une lettre près AIMER.
Quand on croit en l’humain… il est difficile de vivre sa vie Restos du Cœur au ralenti !