Le cercle vertueux du bénévolat aux Restos du Cœur
Quelque 10 000 personnes accueillies par les Restos du Cœur en sont devenues bénévoles. Pour se rendre utiles, retrouver confiance et dignité, et rendre un peu de ce qu’elles ont reçu. Enquête.
Ils s’appellent Véronique, Dominique, Isabelle, Arlette, Pascal… sont retraités, pour le plus grand nombre, encore en activité, parfois en recherche d’emploi. Des problèmes de santé, une séparation, un licenciement les ont amenés, un jour, à devoir frapper à la porte des Restos du Cœur. Là, ils savaient qu’on les aiderait à remplir le frigo, le temps de passer ce mauvais cap, mais aussi à faire les bonnes démarches pour obtenir une aide sociale ou retrouver un travail. Aux Restos, on ne les appelle pas les « bénéficiaires », mais les « personnes accueillies », parce que les mots ont un sens, d’abord, pour ceux que l’on désigne.
Au contact des bénévoles, ils ont aussi pris conscience qu’ils pouvaient à leur tour participer aux actions de l’association, dans un centre de leur région ou à l’occasion de la Collecte nationale, organisée chaque année au mois de mars pour recueillir denrées alimentaires, produits bébés et produits d’hygiène. « J’avais envie de rendre un peu de ce qu’on m’avait donné, et comme je ne peux pas faire de don d’argent, je donne un peu de mon temps », peut-on lire dans l’étude sur le bénévolat des personnes accueillies*, réalisée en novembre dernier par l’Observatoire des Restos du Cœur avec le cabinet Koreis.
Une enquête riche d’enseignements
Menée au moyen d’un questionnaire en ligne adressé aux 70 000 bénévoles de l’association, suivi d’une soixantaine d’entretiens, l’étude apporte un éclairage inédit sur ces quelque 7 000 à 10 500 personnes devenues bénévoles, soit 10 à 15 % de l’ensemble au niveau national, avec des écarts de 4 à 21 % selon les départements.
« C’est la première étude de cette envergure, commente Élodie Charmat, responsable de l’Observatoire. Nous avons obtenu un taux de retour de 20 %, ce qui est un résultat exceptionnel pour ce type d’enquête. L’objectif était de montrer ce que le bénévolat apporte aux personnes accueillies et aux Restos. Mais aussi de chasser l’idée reçue selon laquelle il est impossible d’avoir les deux statuts. »
Pour quelles raisons ces personnes aidées par les Restos ont-elles franchi le pas vers le bénévolat ? Près de 9 sur 10, révèle cette étude, l’ont fait spontanément, pour exercer des tâches très diverses, allant de l’informatique (saisie de données) à la logistique (mise en rayons des produits), en passant par l’entretien des locaux, et jusqu’à des postes à responsabilités comme l’animation du centre d’activité. Avec pour la plupart un triple objectif : se sentir utile en aidant les Restos du Cœur, retrouver de la dignité et un certain épanouissement, sortir de l’isolement et recréer du lien social.
Pour certains, c’est aussi l’occasion de renforcer ses compétences sur le chemin du retour à l’emploi. Ainsi de Pascal qui, tout en étant personne accueillie, a obtenu une Validation des acquis de l’expérience (VAE) pour son activité bénévole dans un entrepôt. Aujourd’hui, il a retrouvé du travail et continue d’aider les Restos tous les samedis. Parfois, le chemin est inverse. Véronique, 64 ans, était déjà bénévole au centre de Royan (Charente-Maritime) quand elle a dû se résoudre à demander : « Quand ma situation s’est dégradée, j’ai eu besoin de l’aide des Restos. On reçoit, mais il faut aussi donner. »
Accueil sans contrepartie
Reste que le bénévolat n’est jamais une contrepartie à l’accueil des plus démunis. « Les responsables de centre peuvent proposer aux personnes accueillies qui en ont envie de devenir bénévoles, mais elles sont totalement libres de s’engager comme de se désengager, expliquent Magali Desautez et Catherine Ruscica, responsables du service Parcours du bénévole au siège de l’Association nationale. Le principe élémentaire est que les Personnes accueillies bénévoles (PAB) ne soient jamais mises en difficulté du fait de leur double statut. »
Dominique, par exemple, participe à la Collecte nationale dans sa ville de Royan et passe de temps en temps donner un coup de main au centre local. L’hiver, il a recours aux Restos du Cœur pour compléter sa petite pension de retraite, prise à 60 ans, après une vie de saisonnier dans l’agriculture et la restauration. En apportant en retour sa disponibilité et sa bonne humeur. « Plutôt que d’hiberner, je préfère aider », lance-t-il dans un grand éclat de rire.
D’autres comme Arlette, 61 ans, qui avoue un lien très fort avec les Restos, s’est engagée à fond au point de devenir responsable de l’Association départementale (AD) des Hautes-Alpes il y a 4 ans. Et de prôner le bénévolat pour les personnes accueillies qui le souhaitent, en respectant le parcours de chacun pour que personne ne se sente mal à l’aise.
« J’ai été accueillie par les Restos du Cœur en 2012 à Briançon, au tout début du centre que j’ai aidé à créer, avant de prendre des responsabilités au siège de l’AD qui se trouve à Gap », dit cette femme qui a multiplié les métiers en gérant tant bien que mal ses soucis de santé, sources d’un parcours professionnel chaotique et de revenus très faibles. À la fois bénévole et personne accueillie, elle avoue que « ça a parfois un peu frotté avec certains bénévoles, l’important étant de ne pas mélanger les genres entre les moments où l’on est bénévole, et ceux où l’on est personne accueillie. » Un savoir-être qui lui fait dire, aujourd’hui, que « humainement et intellectuellement j’ai trouvé de quoi m’épanouir aux Restos du Cœur, qui m’ont apporté un certain équilibre. »
Des règles pour éviter la confusion
Très active, elle aussi, au centre des Restos de Pont-Audemer, en Normandie, depuis une vingtaine d’années, Isabelle, 48 ans, a dû recourir à l’aide des Restos après avoir cessé son activité l’an dernier, pour raisons de santé et en attendant que sa situation s’améliore. Ce qui ne l’a pas empêchée de postuler pour prendre la fonction de responsable du centre quand la place s’est libérée.
« Grâce à ma connaissance des Restos et à mon projet pour mettre en place la distribution accompagnée, j’ai pu avoir ce poste en novembre dernier. » Le double statut ? « Ça n’a posé aucun problème ! Mais il faut faire la part des choses : les PAB ne prennent pas leur colis pendant leur activité bénévole ; elles le font, ensuite, accompagnées d’un autre bénévole. »
Si pour Isabelle cette règle paraît simple à respecter, d’autres responsables de centre n’éludent pas de possibles difficultés, d’ailleurs évoquées dans l’étude de l’Observatoire : décalage possible entre les motivations des Personnes accueillies bénévoles et les valeurs des Restos qui interdisent le profit direct ; absence de consensus sur les tâches confiées aux PAB ; risque de favoritisme perçu par les autres bénévoles, ou encore complexité liée au double statut. Des écueils relatifs, au regard de la bonne intégration, dans l’ensemble, des PAB dans les équipes des centres.
L’étude de l’Observatoire montre ainsi que 84 % des bénévoles de centres comportant des PAB trouvent que « le bénévolat des personnes accueillies est une bonne chose » (65 % dans les centres sans PAB), et 73 % que les PAB aident à mieux comprendre les besoins des plus démunis (59 % dans les centres sans PAB). De leur côté, 73 % des PAB disent avoir « besoin de se rendre utiles pour la société », et 91 % se sentent « acceptés par les autres bénévoles ». Au total 96 % d’entre elles se disent « satisfaites d’être bénévoles aux Restos ». Indispensables à la bonne marche des Restos partout sur le territoire, et fidèles à l’esprit de Coluche, eux aussi, elles filent un rencard à ceux qui n’ont plus rien.
80 % des répondants affirment que le bénévolat a amélioré leur humeur générale.
74 % estiment que cela a amélioré leurs relations avec les autres.
88 % des répondants affirment avoir une bonne estime d’eux-mêmes.
84 % déclarent avoir l’impression d’être une personne au moins égale à n’importe qui d’autre.
94 % estiment se sentir bien dans leur peau.