[Article] L’orientation, une course contre l’exclusion

30 juin 2023

Aux Restos du Cœur, les bénévoles ont compris depuis longtemps que la lutte contre la précarité commence par un rapport humain sincère, une main tendue et une oreille attentive, pour accompagner les plus démunis vers des solutions. Reportage.

Rien n’est simple, quand on est dans la galère. À commencer par pousser une porte pour demander de l’aide. Même si l’urgence se fait sentir, même si on a besoin de tout, et en premier lieu d’un peu de nourriture pour soi, et sa famille. Et même quand ils arrivent à franchir ce premier pas, les plus démunis ont souvent les plus grandes difficultés à se raconter, à expliquer leur situation, exprimer un besoin. Aux Restos du Cœur, on en a bien conscience.

« Le souci des bénévoles est d’entendre ce qui ne se dit pas et de repérer les signes faibles pour identifier, au-delà de l’aide alimentaire, un éventuel non-recours aux droits ou aux prestations, ou encore un problème d’accès aux soins », précise Mathilde Leborgne, chargée de mission Autonomie et lien social au sein du pôle Insertion et accompagnement (PIA) de l’Association nationale.

Tout alors, tient dans le lien de confiance tissé patiemment. « Accueil, écoute et orientation sont les premières missions que nous avons dans les plus de 2 000 centres d’activités des Restos du Cœur », indique Sarah Clisci, responsable Parcours des personnes accueillies dans les centres d’activités, au siège. « L’écoute est permanente, mais il y a aussi des moments privilégiés comme l’accueil au coin-café, ou lors de l’inscription ou du rendez-vous orientation des personnes. Chaque rencontre est un pas de plus dans l’aide que nous pouvons leur apporter. »

Ces rencontres sont aussi une occasion précieuse d’identifier les cas de « non-recours », quand une personne ne demande pas l’aide à laquelle elle a pourtant droit. Une situation qui n’est pas rare. Selon le dernier Baromètre publié en décembre 2022 par la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (Drees), au ministère des Solidarités et de la Santé, ce taux de non-recours dépasse fréquemment les 30 %.

Trop de non recours ou de difficultés d’accès aux aides sociales

C’est le cas de l’assurance chômage, qui atteint 30 % de non-recours, du RSA avec 34 %, ou encore du minimum vieillesse pour les personnes seules avec 50 %. Au total, indique ce Baromètre, ce sont près de 1,5 million de personnes qui ne font pas la démarche de demander l’aide qui leur revient de droit.

Les raisons ? Principalement le manque d’information, pour 37 % d’entre elles, mais aussi des démarches administratives jugées trop complexes (22 %), la crainte de conséquences négatives comme la perte d’autres droits sociaux (17 %), ou encore le refus de se sentir assisté pour préserver son autonomie (15 %).

« Pour parer aux situations de non-recours, nous disposons d’un Mémo des aides sociales que nous portons à la connaissance des personnes accueillies lors de leur inscription, ou quand elles expriment un problème », témoigne Éric Morival, responsable départemental aide à la Personne (RDAP) à Agen, dans le Lot-et-Garonne, un département qui compte 15 centres, dont un centre itinérant et un Resto Bébés. Si la situation d’une personne la rend éligible à une aide, nous l’orientons vers l’organisme compétent en l’accompagnant dans sa démarche. »

Des partenariats avec les organismes sociaux

Offrir le meilleur accompagnement possible nécessite toutefois que les bénévoles soient formés et outillés, en tenant compte de leurs compétences ou de leur appétence pour un secteur particulier. Ces formations, qui se déroulent au siège de l’Association nationale, au niveau des Associations départementales ou dans les centres des Restos, permettent ainsi de disposer de bénévoles référents dans différents domaines : famille, logement, justice, emploi, santé, droit d’asile…

Mais leur rôle a aussi ses limites. « En matière de droits sociaux, nous ne sommes pas là pour proposer des solutions, ni pour remplacer les acteurs du secteur social, mais pour orienter et accompagner les personnes accueillies », rappelle Sylvain Steuperaert, responsable des activités Autonomie au PIA. Des partenariats sont ainsi mis en place avec les organismes sociaux, de la CNAF à l’Assurance maladie, en passant par Pôle emploi ou encore l’Association Infodroits, qui peuvent mettre à disposition des interlocuteurs dédiés susceptibles de répondre aux questions des personnes accueillies. Comme en témoigne Éric Morival, « il y a beaucoup de demandes de personnes qui ne vont plus dans les services publics ». La solution : faire venir des représentants de ces organismes sociaux dans les centres. Pas toujours simple, mais très efficace.

Aider et sensibiliser les bénévoles

C’est à la mise en place de ces partenariats que s’est aussi employée depuis 4 ans Patricia Krettnich, RDAAP à Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales. Convaincue par l’importance de l’aide à la personne, elle y a fait plusieurs fois la tournée des 22 centres Restos, dont un itinérant, pour sensibiliser les bénévoles et leur donner le maximum d’outils, de façon à assurer leur mission au-delà de l’indispensable aide alimentaire.

« L’objectif est de ne pas lâcher les personnes en difficulté dans un département de montagne parfois difficile d’accès, très pauvre, et avec des problèmes de logement, dit cette ancienne militaire de carrière. Pour cela, j’ai constitué une équipe d’aide à la personne dans chaque centre et j’ai passé des conventions avec les organismes sociaux qui se déplacent pour répondre aux personnes accueillies. »

Un « gros boulot », avoue cette femme très engagée, qui demande beaucoup de temps et d’énergie. « Les Restos ne peuvent pas tout régler, mais on peut trouver des solutions pour faire avancer les choses ! ». Encourageant.

Le saviez-vous ?

Le non-recours aux droits sociaux n’est pas un phénomène purement français mais européen. S’il atteint 30 % en moyenne en France, il est par exemple de 57 % en Espagne, 46 % en Belgique ou 35 % en Allemagne.