[Tribune] – Pour une réponse européenne à la crise alimentaire
Les Restos du Cœur en appellent à la mobilisation du SEAA (Soutien européen à l’aide alimentaire) afin de pourvoir aux besoins des plus précaires.
Depuis plusieurs mois, la plus forte vague d’inflation de ces dernières décennies frappe la France et l’Europe. Elle concerne particulièrement les produits alimentaires : en un an, leur prix a bondi d’environ 15 %, avec des hausses encore plus vertigineuses sur certains produits, comme la viande, ou certains fruits et légumes. Les personnes en situation de précarité en sont les premières victimes. L’arbitrage entre se nourrir et se loger, se déplacer ou encore se chauffer n’est plus possible et amène des centaines de milliers de personnes à se tourner pour la première fois vers les associations de solidarité.
Cet hiver, les Restos du Cœur, qui distribuent chaque année environ 35 % des volumes de produits destinés à l’aide alimentaire en France, ont accueilli 22 % de personnes supplémentaires par rapport à 2022. Tous les territoires et tous les profils de personnes accueillies connaissent des augmentations significatives. C’est la hausse la plus massive et la plus rapide à laquelle notre association doit faire face depuis sa création, il y a près de quarante ans ! Et la tendance s’est encore accélérée au cours du mois de mars. Derrière ces chiffres, ce sont des visages, ceux d’enfants, nombreux, de familles monoparentales, de travailleurs précaires qui ne peuvent plus s’en sortir. Nos équipes se mobilisent pour leur venir en aide et tiennent bon, notamment en recrutant de nouveaux bénévoles et en ouvrant davantage de créneaux de distribution.
En parallèle, cette inflation pèse fortement sur le budget des associations de solidarité elles-mêmes : l’augmentation des coûts de l’énergie ou ceux des produits alimentaires achetés vient directement percuter leur équilibre financier. Cet hiver, les Restos du Cœur sont passés d’une moyenne de 2,5 millions d’euros de commandes alimentaires par semaine à près de 5 millions d’euros pour répondre à la hausse de la fréquentation et des prix, et compenser la diminution des dons sur certains produits.
Nous sommes donc face à un effet ciseaux dévastateur qui met en danger la viabilité des associations, au risque de devoir réduire significativement l’aide et l’accompagnement qu’elles apportent. Même si l’inflation ralentit dans les prochains mois, ce que nous souhaitons tous, elle ne se traduira pas immédiatement par une amélioration des conditions de ie des plus précaires et une diminution du recours à l’aide alimentaire.
La situation que connaissent aujourd’hui les Restos est celle que rencontrent plus ou moins fortement des milliers d’associations de solidarité partout en Europe.
Nous en appelons donc à une initiative conjointe, rapide et forte du gouvernement et des institutions européennes pour faire face à cette situation. Plusieurs leviers pourraient par exemple être activés immédiatement : un dispositif européen dédié à la lutte contre la grande exclusion existe déjà, le Soutien européen à l’aide alimentaire (SEAA), qui permet à des millions de personnes en Europe de bénéficier d’une aide alimentaire et matérielle et qui représente à lui seul, près de 30 % des volumes distribués en France. Comme cela a été le cas pendant la pandémie en 2020, il faut impérativement le renforcer pour permettre aux associations françaises et européennes de répondre à l’urgence et de tenir dans les prochains mois.
Ne laissons pas la crise alimentaire, qui est aussi une crise sociale dure et injuste, frapper encore plus fortement les plus démunis.
Patrice Douret,
Président bénévole des Restos du Cœur